Pour comprendre ce qui se passe dans l’Euroland, il est recommandé de revoir ou de relire les aventures des Shadoks. Tout devient limpide.

La culture française a de beaux restes et son influence demeure intacte. «S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème», a ainsi lancé l’autre week-end, aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Wolfgang Ischinger, ambassadeur d’Allemagne. Bravo. Cela fait chaud au cœur qu’un Allemand cite les Shadoks, ces inoubliables héros aux contours filiformes de la télévision française des années 1970 et 1980, toujours rediffusés sur nos écrans. C’est en effet l’un de leurs adages favoris.

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La formule mérite d’être méditée: elle nous aide à mieux saisir les drames actuels de la zone euro. Après tout, si l’on s’acharne à ne pas trouver de solution à la crise, c’est qu’elle ne constitue pas un réel problème! Dire à des Grecs et à des Espagnols que leurs difficultés financières ne sont qu’un détail vous fera à coup sûr passer pour un négationniste illuminé. Et pourtant, comme l’a fait remarquer Valéry Giscard d’Estaing, lui aussi à Aix-en-Provence, «l’euro, la deuxième monnaie du monde, reste un grand succès». II cote aujourd’hui toujours plus de 1,22 dollar, bien trop jugeront même certains exportateurs français.

Mieux, les États de l’Euroland continuent d’inspirer confiance aux investisseurs internationaux. On tend à en occulter la réalité, mais les taux d’intérêt auxquels empruntent aujourd’hui leurs Trésors publics n’ont jamais été aussi bas. Il en coûte à peine 3,2% en moyenne pour les dix-sept pays de la zone (sur les échéances à dix ans), contre 5% en 2001, et 4% à 4,5% au printemps 2007. Voilà une sacrée preuve de confiance.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Vue de Sirius, la zone euro dans son ensemble ne souffre d’aucun problème de financement. Ses comptes commerciaux sont d’ailleurs excédentaires vis-à-vis du reste du monde. Il en va certes autrement dès qu’on pénètre au sein du club. Les taux d’intérêt font alors le grand écart. L’Allemagne paie 1,2% pour obtenir de l’argent de ses créanciers quand l’Italie doit verser 6% et l’Espagne tangente les 7%. Et ceci explique cela. Pour dire les choses crûment, le malheur des uns fait le bonheur des autres: les investisseurs plébiscitent d’autant la vertu germanique que le dévergondage passé des Latins les effraie.

Cette énorme contradiction entre le tout et ses parties explique pourquoi les chefs d’État et de gouvernement de l’Euroland ne parviennent pas à s’entendre sur une solution: les uns sont aux abois et les autres au pinacle. Il ne peut y avoir d’issue commune quand on ne vit pas la même problématique, loin s’en faut.

La devise des Shadoks allait à l’encontre du bon sens populaire gnangnan («à chaque problème sa solution», dit-on). Elle doit être prise au sérieux et à la lettre. Leur sagesse si particulière a passionné plusieurs générations d’Européens et d’Américains qui en ont été les spectateurs. Elle nous est d’un grand secours pour décrypter les mésaventures contemporaines de la zone euro et ses absurdités.

Sans prétendre résumer les feuilletons télévisés (il y a eu plusieurs séries), tout se ramène à un affrontement avec une autre peuplade, les Gibis, censés être plus intelligents et sophistiqués. Les Shadoks incarnent en fait les Français confrontés aux Britanniques. Ils sont les adeptes du système D. Ils ont l’obsession de l’échec et du manque, de carburants entre autres. «Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas», tel est leur principe directeur constant.
On tourne en rond, et c’est très shadokien

La Banque centrale européenne n’agit pas autrement, qui inonde le marché de liquidités par trillions. Même si les effets sur l’économie n’en sont pas mirobolants, du moins la catastrophe est-elle évitée, pense-t-on. Selon son bilan hebdomadaire du 6 juillet, la BCE distribue en ce moment même quelque 1243 milliards d’euros aux banques commerciales du continent, lesquelles se sont empressées d’en redéposer 795 milliards aux propres guichets de la BCE… On tourne en rond, et c’est très shadokien.

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Toujours sur la brèche, les Shadoks: «Quand on ne sait pas où on va, il faut y aller… et le plus vite possible», disent-ils. C’est la doctrine de nos ministres, notamment français, se rendant sans relâche aux «Eurogroupes». Du côté allemand, on a retenu un autre proverbe shadokien, digne de Sacher Masoch: «Si ça fait mal, c’est que ça fait du bien.» Voilà l’alpha et oméga des plans d’austérité. Quant aux Trissotin de Bruxelles, les inventeurs de l’inénarrable «six-pack» – en français «le paquet de six», mesures prétendant définir la gouvernance économique de la zone euro -, ils ont repris cette maxime: «Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué», martelait de sa voix docte Claude Piéplu, l’irrésistible narrateur du dessin animé.

L’Euroland applique avec persévérance les sophismes shadokiens. Comme dans l’univers en deux dimensions des Shadoks – le refus de la profondeur était leur caractéristique graphique essentielle -, les protagonistes du drame européen récitent ad nauseam des formules convenues – croissance, responsabilité, «eurobonds», etc. Eux aussi se répètent sans cesse, et leur histoire est condamnée à faire du surplace, la drôlerie en moins. Les sommets européens pourraient reprendre à leur compte le «c’est tout pour aujourd’hui» qui concluait invariablement chaque épisode des Shadoks.

Source : Le Figaro